Environ 40% de la population de l’Afrique au sud du Sahara vit en dessous du seuil de la pauvreté. Le chômage et la précarité touchent la majorité des jeunes. 75 pour mille des enfants perdent la vie avant leur cinquième anniversaire, en dépit de quelques progrès. Sur le plan éducation, de nombreux enfants ne terminent pas le cycle primaire. A ces maux, s’ajoutent les conflits armés, le changement climatique, les pandémies et autres fléaux. Face à cette situation de crises multiples plus qu’inquiétante, des acteurs de la société civile se dressent pour apporter leurs contributions à ces problèmes. Ainsi, sur initiative de l’organisation Internationale Enda Santé, plus de 80 experts en développement, issus de la société civile, d’institutions et d’organismes internationaux participent à une consultation régionale à Dakar, afin d’analyser ensemble la situation actuelle et de proposer des solutions, conformément à l’un des objectifs de cette importante rencontre qui est de « Repenser les politiques et modalités d’opérationnalisation de l’aide publique au développement et repositionnement des acteurs au Sahel et en Afrique de l’ouest ».
Ce premier rendez-vous d’échanges et de réflexion constitue un véritable processus de co-création, centré sur les expériences des acteurs de mise en œuvre sur le terrain.
Invité à prendre la parole, l’historien, le Pr. Abdoulaye Bathily, ancien Envoyé Spécial des Nations Unies à Tripoli a émis sa crainte sur la situation dans la région du Sahel « Tous ceux qui interviennent aujourd’hui sur le champ ouest africain et Afrique centrale sont inquiets par rapport à la dimension politique et géopolitique des crises actuelles. Aujourd’hui, nous sommes dans une passe extrêmement difficile et complexe qui peut inciter à beaucoup de pessimisme, non seulement de la part des partenaires au développement, mais surtout pour les citoyens de cette région.» A ces maux, le Pr. Bathily ajoute la déchirure du tissu social qui a atteint son paroxysme « Ce qui est encore plus grave dans la région aujourd’hui, c’est la déchirure du tissu social dans la plus part des pays avec des conflits intercommunautaires, le degré de violence qui s’abat sur certaines communautés. On n’a jamais atteint ce niveau de déchirure du tissu social à l’intérieur de certains pays. Jamais nous n’avons été dans une situation politique sécuritaire aussi complexe. Jamais l’horizon n’a été aussi sombre.» Devant cette situation critique qui nécessite une solution urgente, aucun acteur ne doit rester indifférent, notamment les organisations de la société civile. Pour recoudre cette déchirure du tissu social, M. El Hadji Ass Sy, Président de la Fondation Koffi Annan opte pour une approche multiforme et multisectorielle « On ne peut pas faire supporter tout ce fardeau sur les épaules des communautés ou des citoyens seuls. Cette mission doit être partagée. Que les gouvernements jouent leur rôle, en respectant les promesses faites aux populations et de l’autre côté qu’il y ait une affirmation d’une citoyenneté active pour que l’on se retrouve autour de l’essentiel. Il faut mettre les gens ensemble autour de ce qu’ils ont en commun comme l’humanité que nous partageons, la dignité à laquelle nous aspirons tous mais également la solidarité qui est la base de notre survie au niveau de nos communautés. » Affirme M. Sy qui rappelle que les organisations de la société civile ont un rôle d’accompagnement continu des communautés c’est-à-dire être aux côtés d’elles avant, pendant et après les crises.
Devant ce lot de problèmes, Enda qui est la sœur ainée des organisations de la société civile en Afrique de l’Ouest ne baisse pas les bras. Sa directrice exécutive Mme Nguissaly Turpin est toujours confiante malgré tous les obstacles « Le moral de Enda est très positif. C’est vrai qu’il y a des difficultés, des contraintes et c’est vrai qu’on assiste au retrait progressif de certains partenaires au développement mais ceci n’empêche que les besoins essentiels au niveau de la communauté continuent à être présents et ce sont des besoins auxquels il faut continuer à faire face. Enda Santé, a toujours été cette organisation qui propose des alternatives. Nous sommes contre les situations de statu quo mais qui part du principe selon lequel c’est à travers les dialogues inclusifs que nous arrivons à travailler sur des solutions qui répondent au mieux aux besoins des communautés au niveau desquels nous intervenons. » Précise-t-elle.
Outre les organisations de la société civile, d’autres partenaires s’engagent aux côtés des communautés pour les accompagner comme le Grand-Duché de Luxembourg. Selon son Ambassadeur au Sénégal, Son Excellence Georges Ternes, le Luxembourg entretient un partenariat vieux de plusieurs décennies avec les pays de la région dont le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Niger « Après les Ong, le gouvernement luxembourgeois a décidé, dans les années 90, de mettre en place une aide au développement officielle pour soutenir certains pays de la région. Il n’est pas parti n’importe où dans le monde mais il a suivi les partenariats qui existaient déjà. Il y a une dimension de partenariat historique. Il y a aussi la géographie. On peut dire quelque part que nous sommes quasiment forcés de nous intéresser à ce qui se passe chez nos voisins au sud du continent. Le Sahel est là il ne va pas s’en aller il va être encore là demain et après-demain. Le sens de notre engagement est aussi un engagement de long terme. Nous avons de bonnes relations. » Précise le diplomate.
Dans son intervention, la représentante du Fonds mondial renouvelle l’engagement de son organisme à accompagner les acteurs de la société civile. Mme Saran Fadiga Branchi rassure les organisations « Notre engagement reste le même. On essaie aussi de le densifier, de garder le même niveau d’engagement qu’on avait auparavant parce que les problèmes sont accrus. On a eu une augmentation du financement grâce au soutien de nos donateurs. C’est important de relever que le multilatéralisme est encore une force, le dynamisme bilatéral permet de continuer la délivrance des soins de santé dans cette région qui, malgré les défis reste une zone à très grande opportunité dans la réponse à la crise énergétique du continent. Le devoir de ne pas renoncer est important dans ce contexte. »
La mission de la société civile n’est pas de tout repos. Sur le terrain, des acteurs d’organisations humanitaires perdent la vie, de même que des journalistes mais ce n’est pas une raison de baisser les bras. D’où les conseils du Pr. Bathily « Renoncer n’est pas une option. Il faut être optimiste malgré tout, les peuples, comme partout ailleurs s’organisent de différentes manières pour mettre fin à la tyrannie, à ce qu’on peut considérer comme une sorte d’intermède sombre de l’histoire et de ce point de vue, Enda Santé peut jouer un rôle. Il ne faut pas minimiser votre capacité d’intervention. Je suis sûr que les hommes et les femmes de terrain aguerris que vous êtes trouveront les formules adéquates pour continuer d’intervenir parce que les communautés ont besoin de vous quel que soit les modalités il faut continuer. »
Mbagnick DIOUF