Ngor : récit d’une journée sanglante sur fond de spoliation foncière

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Au village de Ngor, situé dans la partie la plus occidentale du Sénégal et donc de l’Afrique, une série de manifestations violemment réprimée par la gendarmerie a occasionné la mort d’une jeune élève. À l’origine de cet accès de colère des populations, un contentieux qui les oppose… à la gendarmerie à propos d’un espace de 6387 mètres carrés, immense dans une localité qui étouffe. La journée d’hier a été la goutte d’eau de trop avec un blocus total de la localité et des affrontements sans arrêts jusque tard le soir.

Quasiment sous blocus depuis le mardi 18 avril dernier, à quelques jours de la célébration de la Korité, le village de Ngor a subi ce mardi 9 mai le paroxysme de la tension née du conflit qui l’oppose à la gendarmerie. Selon des témoignages recueillis sur place, « les gendarmes ont très tôt bouclé tous les accès menant au village de Ngor, personne n’a pu entrer ni sortir, quelque soit le motif ».

Un témoignage que nous sommes en mesure de confirmer après nous être rendu sur place en début d’après-midi. Près du rond point qui fait face au rond-point qui porte le nom d’une célèbre chaîne de pâtisseries, une escouade de gendarmes armés jusqu’aux dents refuse la moindre discussion aux véhicules et piétons qui veulent passer de l’autre côté de ce qui appelé la bande de Ngor, en référence à Gaza. Que l’on soit médecin, habitant de la localité ou journaliste, il n’y a pas de variation dans la réponse : « Faites demi-tour. Vous ne passerez pas. »

De l’autre côté, la situation est la même. Aucun mot de passe ne parvient à faire bouger le verrou installé dès les premières heures du matin, avec des véhicules blindés qui bloquent toutes les rues, sans exception menant à Ngor. « Aucun habitant du village n’a pu aller travailler. Ceux qui avaient des rendez-vous à l’hôpital ont également fait l’objet de blocage », nous indique P.L., dépité, après avoir participé toute la journée à organiser les secours avec les moyens du bord. Biram N., renchérit et révèle que « depuis le 18 (avril), la situation de blocus persiste et les entrées et sorties étaient filtrées jusqu’au blocus total de ce mardi. » Sur les réseaux sociaux, certains médecins alertent sur l’impossibilité d’avoir accès à leurs patients résidant au village de Ngor pour des soins nécessaires ou des check-up.

Au même moment, en réponse à la charge lourde des gendarmes, l’intifada se poursuit au sein du village de 4,5 km2 à peine, ceinturé par la mer et des plages rocheuses. Les jeunes de Ngor, qui cette fois-ci ont eu beaucoup de mal à bénéficier du soutien de leurs voisins de Ouakam et de Yoff à cause du blocus. Palla Diop, révèle, fier, qu’ils « ont mené la bataille au sein de leurs localités respectives, en guise de solidarité et cela, jusque très tard dans la nuit, entre minuit et une heure du matin. »

 SACCAGES, ARRESTATIONS TOUS AZIMUTS, HUMILIATIONS

À Ngor, à la mi-journée, la tension ne s’est pas estompée tout au long de la journée. A tel point que les forces de l’ordre ont commencé à tirer des grenades lacrymogènes jusque dans les maisons, les lieux de cultes et le cimetière du village qui servaient de refuge. « C’était déjà le cas le vendredi 21 avril, lors de la manifestation à la veille de la Korité. C’est notre sort quasiment depuis un mois. Aujourd’hui, ils ont encore récidivé et il était impossible de faire la prière de takusaan (17h) à la mosquée. Personne n’y est allé », se désole un jeune banquier habitant la localité, que nous avons contacté via les réseaux sociaux et qui a souhaité garder l’anonymat.

Avec une insistance qui indique le degré de psychose qui règne à Ngor. Notre interlocuteur enchaîne : « Ils (les gendarmes) viennent dans les maisons, défoncent les portes avec des éléments encagoulés, pour brutaliser les jeunes et les arrêter au faciès. Certains sont arrêtés blessés. D’autres sont traqués parce qu’ils relaient des informations sur les réseaux sociaux. Les personnes âgées sont désabusées. Ils procèdent à des saccages et laissent les maisons qu’ils visitent dans un état catastrophique après avoir ouvert des chambres pour y jeter des grenades lacrymogènes sans se soucier à savoir s’il y a des malades, des enfants, des femmes… »

DES BLESSÉS PAR BALLES, ÉVACUÉS À L’ÎLE, À CAUSÉ DU BLOCUS

Les blessés se dénombrent par des dizaines, voire des centaines, insistent tous nos interlocuteurs. Ces derniers révèlent que face à l’impossibilité de les évacuer dans les hôpitaux les plus proches (Philippe Maguilen à Yoff, Fann et structures sanitaires du centre-ville), les blessés sont acheminés sur l’Ile de Ngor à bord de pirogues, avec l’aide des volontaires de la Croix Rouge et des médecins et autres infirmiers qui habitent Ngor. « Certains ont des blessures graves, difficiles à regarder et on en voit même des cas d’impacts de balles réelles utilisées par les forces de l’ordre. Des douilles sont collectées ici ». Ses propos sont confirmés par des photos et vidéos qui circulent déjà sur les réseaux sociaux. Des images d’une violence inouïe, qui glacent le sang, que nous ne pouvons partager.

À peine avons-nous fini d’échanger que des rumeurs de « deux ou trois morts » commencent à faire le tour du web. Après plusieurs vérifications, aucune de nos différentes sources ne confirme les décès. La plus précise sur ce sujet détaille : « Pour les décès, j’ai entendu deux ou trois cas mais jusque-là, il n’y a que cette jeune élève dont les gens parlent le plus qui semble se confirmer mais ce n’est pas encore officiel au moment où je vous parle mais aux dernières nouvelles, elle serait dans un état très critique. »

Quelques instants plus tard, une autre source nous revient avec plus d’éléments. C’est un enseignant et il affirme que la victime, du nom d’Adji Fatma, est une de ses anciennes élèves. Elle aurait été effectivement tuée lors des manifestations à Ngor, mais nous n’avons pas encore les circonstances précises de son décès. Jusqu’à ce que le ministre de l’intérieur Antoine Félix Diome, ne publie, tôt ce matin, un communiqué qui parle de « corps sans vie d’une jeune fille découverte sur la derrière l’hôtel Ngor Diarama. « La victime est une adolescente d’environ 15 ans, présentant une blessure à la tête. Elle a été ramenée sur la plage par les vagues et aurait été mortellement touchée dans l’eau, probablement par l’hélice d’une pirogue. »

6387 MÈTRES CARRÉS DE PROBLÈMES

Mais comment en est-on arrivé à cet énième drame ? Nous avons tenté de démêler le fil avec des membres du collectif « Ngor debout », qui en plus de mener la bataille au front et de participer activement à l’organisation des secours, essaient d’être présent sur le terrain de la communication pour démêler les fils embourbés d’une histoire qui a pourtant l’air si simple.

À l’origine, un terrain de 6387 m2 sur un site dénommé « Parking », qui attire plusieurs convoitises, mais sur lequel les populations avaient émis le vœu de voir érigé un lycée de proximité. Problème, la brigade de la gendarmerie de Ngor, confinée dans une partie de l’ancien foyer socio culturel, avait également des visées sur le site pour la construction d’une brigade pour quitter « la zone inondable » de ses locaux actuels.

Fortement opposés au projet des pandores, les populations ont alors mené la bataille dès que la gendarmerie a posé les premiers actes sur le site également appelé « Arrêt Mame Tamsir », du nom de Feu El Hadji Mame Tamsir Ndiaye, « imam, maître coranique et guide spirituel considéré comme faisant partie du patrimoine religieux et culturel » des Ngorois, lit-on dans un document en PDF qui liste les griefs des populations de Ngor sur des questions portant essentiellement sur une série de spoliations foncières sous le couvert de l’Etat, depuis les années 40.

RÉACTIONS POLITIQUES, MÉDIATIONS, SOLUTION REJETÉE

Après une série de défiance de part et d’autres, la promesse du gouverneur de Dakar de mettre sur pied une commission pour trouver une solution sur les 6387 m2 du « Parking », est venue calmer les populations. Sauf que pendant qu’elles attendaient la matérialisation de cette promesse, la gendarmerie aurait entamé de façon unilatérale son projet de construction d’une brigade sur le site. « (Le village de) Ngor est coincé entre le marteau de l’avancée de la mer et l’enclume de l’absence d’espaces vitaux pour notre génération et les générations futures », argumente le document qui la signature d’El Bachir Bèye.

De Khalifa Sall à Ousmane Sonko en passant par Mimi Touré, plusieurs leaders politiques ont réagi sur le sujet. Dans la nuit même, sans doute informé de la situation toujours tendue sur les lieux, le président de la République, Macky Sall, aurait invité les autorités locales de Ngor pour… entamer un dialogue tandis que d’autres bonnes volontés se seraient également engagées à une médiation pour arriver à un répit et trouver une solution.

Si d’autres rumeurs font état d’une volonté d’ériger également sur le site un supermarché d’une grande marque française, nos sources nous assurent qu’il n’en est rien. « Cela n’a jamais été évoqué lors des différentes réunions avec les parties prenantes. C’est la gendarmerie même qui veut l’utiliser à des fins que nous ignorons. Tantôt on parle de brigade avec des logements, tantôt on parle de camp avec espace de stockage… sans plus de précision. » Lors de l’une des dernières réunions tenues sous sa présidence, le gouverneur de Dakar aurait également agité l’idée d’un morcellement du site avec 2000 mètres carrés pour les populations et le double pour la gendarmerie. Une autre idée de partage à parts égales aurait également été agitée lors des négociations avec le président de la République.

Une cohabitation qui est très loin d’être envisageable à l’heure actuelle tant les dégâts de ce mardi 9 mai 2023 ont laissés des stigmates profonds dans l’âme des Ngorois…

Par Babacar Ndaw FAYE DakarMatin

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